Monts et merveilles

Cela fait vingt ans que je la cherchais,
En vain je m'étais souvent égaré,
Mais malgré tout je gardais bon espoir,
J'étais sûr de la rencontrer un soir,
Quand un beau jour, en sortant de chez moi
J'en vis une qui déclencha mon émoi.

De longues jambes qui paraissaient voler
Sans même toucher le pavé survolté,
Sous une jupe qui ne portait pas le deuil,
Ses jolies fesses me faisaient des clins d'oeil.
Des yeux de jade sertis de longs cils courbes
Disaient tout haut qu'elle n'était pas de tourbe,
Que je n'avais qu'à faire le premier pas
Pour découvrir le trésor des Incas,
Que sa douceur et tous ses ingrédients
Valaient toutes les pâtisseries d'Orient.
C'était l'essence de la féminité,
L'incarnation des rêves les plus sacrés,
Du concentré de fille, d'épouse, de mère,
Maîtresse sûre en toutes les matières,
Une vraie sainte ou bien une belle putain
Que l'on désire ou encore que l'on craint.
Femme-objet, femme culte ou femme-enfant,
Pour qui on va au combat en chantant,
Celle qui rassure et qu'on veut protéger
Celle qui dirige et qu'on veut posséder,
Qui dans la nuit peut faire de la lumière
Et pour laquelle on brandit sa rapière,
Une fleur fragile qu'on a peur de faner,
Mais si flexible qu'on ne peut échapper
Car son étreinte est tellement envoûtante
Qu'on dirait que c'est une amarante.
Le jour, la nuit, la glace ou bien le feu,
De tout cela, elle pratique bien le jeu.
Belle chrysalide ou joli papillon,
Toutes les raisons de devenir grillon.
Une prisonnière ou encore une geôlière
Qui vous séduit de toutes les manières,
Un miroir des idées les plus perverses
Qui fait tomber les hommes à la renverse.
Passé, présent et même l'avenir,
Soit dieu, soit diable, qui aurait pu le dire,
Car au miracle, elle aurait pu faire croire
Même un athée qu'elle n'aurait vu qu'un soir.
Pour elle j'ai même vaincu les grandes Jorasses,
Par la face nord, j'ai bien conquis la place
Avec mains nues et sans autre assurance,
Sans perdre de temps pour entrer dans la danse.
Et maintenant, de jour, de nuit, je veille
Au pied du mont et de toutes ces merveilles.

Copyright Jacques R. Verpeaux (Eucalion)© Droits de reproduction et de diffusion réservés - Ecrire : jacques@verpeaux.net